Le canal St Martin recyclé en autoroute : l’ancien député-Maire du X° Claude-Gérard Marcus se souvient.

 

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A la place du Canal , des autoroutes

Pouvez vous imaginer une seconde le Canal St Martin aboli, élargi et recyclé en radiale autoroutière courant de la Porte d’Aubervilliers, elle-même branchée sur l’autoroute du Nord, jusqu’à la Porte d’Italie connectée à celle du sud en passant prés de la Gare de l’Est où elle se plugguait  sur l’axe venant de St Lazare avant de découper le V° arrondissement ?

 

Non. Bien sûr. Cet aménagement  ( voir le plan révélé par Match en 1967) sensé accélérer les flux automobiles serait aujourd’hui jugé insensé. Inaudible. Indicible et regardé comme une boucherie urbanistique. Et pourtant des années vingt  aux années soixante et même jusqu’au tout début des années soixante-dix, c’était l’évidence même.

Une sorte d’impératif catégorique pour ouvrir Paris vers les villes nouvelles, pour ouvrir aussi le cœur de capitale à l’emploi et surtout aux voitures. On se souvient de l’axiome de Pompidou : «  Il faut adapter la ville aux voitures ». Un garant de modernité et surtout , eh oui, de démocratie.  Pourquoi refuser à la nouvelle masse des automobilistes ce qu’on acceptait pour les pionniers  ?

De fat, la  plupart des parisiens approuvaient la  nouvelle révolution haussmannienne.

Pour garder sa centralité dans une région nouvellement urbanisée, Paris devenait un carrefour traversé de «voies rapide internes et des pénétrantes prolongeant les autoroutes Périphériques ».

Ainsi l’imaginait le Schéma Directeur (SDAU) de 1965 gouverné par Paul Delouvrier. Schéma qui lui-même s’inspirait du Projet d’aménagement de la Région parisienne en 1932, dit Plan Prost du nom de son initiateur,  puis le Padog (plan d’aménagement et d’organisation) adopté en 1955.

Remontons encore plus haut dans le temps avec Le Corbusier qui explique en 1956 sa vision du nouveau Paris et reprend en fait son  Plan Voisin conçu entre 1922 et 1925. Accrochez vous, c’est radical.

 

Et pourtant quelques élus ont commencé à tousser à la fin des années soixante. Parmi eux Claude-Gérard Marcus, député du X° de 1968 à 1997, élu à l’hôtel de Ville puis Maire du X°.

Aujourd’hui à la retraite, l’ancien élu gaulliste nous a reçu avec son fidèle collaborateur dans le X° Claude Weill pour évoquer les moments forts de la sauvegarde du canal.

 

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Claude-Gérard Marcus,  ancien député Maire du X° arrondissement

« Attention, rappellent et l’un et l’autre, les élus n’avaient alors à peu prés aucun pouvoir à Paris jusqu’à l’élection d’un Maire en 1977. C’était le Préfet et derrière lui le Gouvernement qui instruisaient tous les dossiers et les exécutaient. Or, la transformation du canal en autoroute deux fois deux voies s’inscrivait dans le Plan Delouvrier qui était l’alpha et l’Oméga du développement régional.  »

 

« Surtout  insiste Claude-Gérard Marcus, personne ou presque n’était vraiment choqué par ces nouveaux axes roulants . C’était dans les mœurs de l’époque. C’était l’esprit du temps. Rappelez vous que le chantier du périphérique avait commencé en 1965, qu’on préparait la future voie Express Pompidou et, qu’en plus,  on promettait de créer 50 000 emplois entre Gare du Nord et Gare de l’est ! »

 

Le  canal dont le gabarit ne  correspondait plus à celui des péniches modernes et dont les quais servaient au mieux de parking, semblait condamné à disparaître.

La modernité semblait l’exiger et les contemporains s’en accommodaient  fort bien.

D’autant que le promesses de fluidité de circulation séduisaient les automobilistes de plus en plus nombreux et de plus en plus encalminés dans les embouteillages des rues de Paris.

C’est si vrai que lors de élections législatives de 1973, les journalistes mais aussi le leader du Ps dans le X° critiquent Marcus pour le non avancement des travaux.

 » Force est de reconnaitre que l’on était pas nombreux  à râler, ajoute Claude-Gérard Marcus  quand bien même  Jean Tibéri était très opposé à ce projet qui passait par le V° arrondissement. Localement, dans le X°, il y avait bien quelques individus hostiles mais ils prêchaient dans le désert ».

Précisément parce que l’axe du Canal Nord Sud était l’épine dorsale du grand échangeur parisien qui devait libérer toutes les voitures des bouchons.

Soit huit autoroutes de 2×2, 2×3 ou 2×4 voies auxquels s’ajoutaient les voies sur Berges et les « artères à circulation rapides «  qui faisaient communiquer toutes ces pénétrantes ! ».

Notamment la radiale, largement souterraine, Gare St Lazare – Gare de l’Est qui rejoignait l’autoroute de l’ex canal à la hauteur du Jardin Villemin.

Un projet qui remonte loin,  juste après la Guerre Mondiale, rappelle Claude Weill, lors du percement de l’étrange « Avenue de Verdun ». Un moignon d’avenue qui n’aurait pris tout son sens que dans le raccordement avec un autre axe : l’autoroute St Martin .

Au  tout début des années soixante-dix, le «Grand Axe Nord Sud» semble patiner. Mais il est toujours en vigueur.

«  Je me souviens très bien lorsque les architectes ont rendu le projet de la Zac Jemmapes Grange aux belles pour lequel j’avais beaucoup travaillé.  A ma stupéfaction, le nouveau quartier était séparé du canal par une barre qui longeait la voie d’eau. Une barre d’habitations quasiment aveugle puisque  n’étaient prévues que de minuscules lucarnes donnant sur le canal. Les ouvertures donnaient toutes de l’autre côté, vers la place du Colonel Fabien ! »

« J’ai demandé pourquoi ». Réponse : « Vous savez bien que tôt ou tard il y aura une autoroute en lieu et place place du canal et qu’il faut donc protéger les logements contre le bruit. »

C’est en 1972 que le projet «  Grand axe Nord Sud «  est abandonné et que le dessin de la Zac sera  remodelé. Elle ne tournera plus le dos au Canal, les hauteurs des habitations seront moins élevées  que prévu initialement et la voie piétonne qui relie le qui de Jemmapes à la Place du Colonel Fabien sera élargie…..

Oui, il s’en est fallu de pas grand chose pour que l’éventrement du X° ne soit une réalité et que l’arrondissement,  ainsi sectionné,   perde à jamais son unité.

Cette histoire inspire à l’humilité  devant les certitudes éphémères. Question : quelles sont les évidences d’aujourd’hui qui demain apparaitront insensées ?

Guillaume Malaurie

 

Biographie de Claude Gérard Marcus : Claude Gérard Marcus.jpeg